Yepa était l’angakkoq de la tribu.
Yepa savait danser autour du feu.
Yepa savait tourner au son du tambour.
Yepa savait communiquer avec les esprits.
Elle savait parler à l’esprit du caribou, qu’on appelle renne chez nous.
Elle savait devenir l’esprit du phoque barbu et pouvait dire aux hommes où aller sur la banquise pour les trouver.
Yepa connaissait le chemin pris par le saumon atlantique et savait où aller les pêcher.
Yepa pouvait même devenir l’esprit de la baleine à bosse et suivre la migration des femelles.
Mais la chose la plus extraordinaire que l’angakkoq était capable de faire, c’était de parler avec nanuk, l’ours blanc.
L’angakkoq était vraiment un personnage important pour le peuple Inuit. L’angakkoq se disait chaman en langage de Blancs. Le chaman avait des pouvoirs immenses, comme Yepa.
Tous les hommes ne savaient pas communiquer avec la nature. Mais les Inuits si !
Yepa avait appris à sourire avec les hommes blancs. Mais chez les Inuits, on souriait pour impressionner celui d’en face. Pour lui faire peur même !
Les hommes blancs venaient en bateau et parfois en camion à chenilles pour voir des ours blancs.
Yepa n’y comprenait rien. Ils admiraient un animal dangereux et fier alors qu’ils détruisaient son environnement avec leurs plateformes de pétrole !
Les blancs venaient régulièrement chercher des carottes de glace et analysaient cette glace pour comprendre pourquoi la banquise fondait.
Yepa n’avait pas besoin d’analyse, ni de chiffres, ni d’instruments pour savoir ce qui se passait ! L’ours blanc lui parlait !
Voilà ce que Nanuk lui avait confié il y a peu de temps :
-Bonjour angakkoq Yepa. Bonjour femme que je respecte.
-Bonjour Nanuk ours blanc ! Pourquoi veux-tu parler à mon esprit ?
L’ours blanc réfléchit : J’ai un message pour toi Yepa.
Tu en feras ce que tu veux. Tu le garderas pour toi. OU tu le confieras à ton mari, à ta tribu ou même aux hommes blancs, si tu sais où ils habitent.
Je les entends tous ces touristes ! Quand ils arrivent avec leurs appareils photo, avec leurs téléphones, voleurs d’images.
Yepa, ton prénom, veut dire « princesse de l’hiver ».
Tu sais que la banquise vit, qu’elle respire.
Tu sais que le vent de l’hiver est plus fort que tout et tu sais que la glace craque et crisse.
Tu sais que la neige ne devrait jamais fondre ici. Et pourtant… elle fond, aujourd’hui !
-Pourquoi m’avoir choisie ? demanda Yepa.
-Tu connais tous les secrets de l’hiver, c’est pourquoi je t’ai choisi !
Parce que tu fais souvent voler ton âme sous ma glace et je te vois voyager parmi les esprits.
Tu es une femme forte. Un grand esprit sage.
Beaucoup plus sage que beaucoup d’hommes !
-Alors Nanuk… j’écoute ton secret.
-Très bien. Je vais te dire ce que j’ai décidé. J’ai décidé de ne plus faire de petit.
-Mais pourquoi ?
-Il faut beaucoup de glace, beaucoup de place et beaucoup de nourriture pour élever un ou deux oursons blancs… Je vais laisser ces hommes blancs détruire la banquise et se demander pourquoi !
Mais je ne suis pas en voie de disparition seulement à cause d’eux. J’ai décidé d’arrêter de me reproduire pour pouvoir voyager plus facilement.
Je vais faire un long voyage. Je suis venu te dire au revoir. Mais, toi qui est angakkoq, tu vas pouvoir continuer à me rendre visite et à me suivre, en esprit.
Je ne disparais pas. Je m’en vais vivre dans un autre monde… le même monde qu’ici mais dans une autre dimension. Le même monde qu’ici… mais ailleurs.
Je vais laisser les hommes blancs à leurs interrogations et je vais aller vivre ailleurs. Seule toi sais que je pars mais que je ne disparais pas de l’univers. Je quitte juste ton monde !
Yepa était triste d’entendre ces paroles mais elle savait que Nanuk voulait donner une leçon aux hommes blancs.
-Au revoir Nanuk, bel ours blanc. Je te suivrai en pensée en dansant au son du tambour de peau. Je suis tellement heureuse que tu ne disparaisses pas.