Théo et Clémentine allaient toujours passer les vacances scolaires chez leur Mamie de Paris. Cela faisait toujours bien de dire qu’on passait ses congés au pied de la Tour Eiffel mais ça n’était pas pour cette raison que les enfants acceptaient volontiers de quitter Valenciennes. C’était surtout parce que Mamie Gâteau les traînait dans tout Paris et que c’était très amusant ! Les musées de toutes sortes, les Puces, les bouquinistes, les ventes aux enchères, les bateaux-mouches…on ne s’ennuyait jamais avec elle !
Ce matin-là, nous avions pris le métro pour aller faire un tour chez les antiquaires, tout près du musée du Louvre. Nous tournions depuis un bon moment dans les allées lorsque Mamie s’arrêta net devant un petit tableau posé sur un chevalet. « Regardez ça, les enfants ! On dirait un Jérôme Bosch ! »
Bon, déjà… Jérôme Bosch n’avait jamais été avec nous à l’école. On ne connaissait donc pas ! Mamie nous expliqua qu’il s’agissait d’un peintre qui avait vécu à la fin du Moyen Âge. Hein ? Le Moyen Âge ? Mais c’était vieux, ce truc-là ! Pas étonnant qu’on n’ait pas fréquenté la même école…
Mamie nous prit la main et nous expliqua qu’avec un peu d’imagination et de concentration, elle pouvait avoir les mêmes pouvoirs que Mary Poppins. Tout à coup, nous étions rentrés dans le tableau.
Sur le coup, on n’a pas compris tout de suite ce qui nous arrivait. On avait la tête qui tournait, sans doute à cause de la transportation. Nos petites cellules étaient un peu chamboulées. Mais la réalité s’est vite imposée à nous… Il devait y avoir, pas loin de là, quelqu’un qui passait un sale quart d’heure… Ça hurlait de tous les côtés ! Quelqu’un se faisait remonter les bretelles.
« Vous n’êtes que des imbéciles, des bons à rien ! »
(Théo pensait tout haut : « Cette aventure commence mal… On n’était pas venu en vacances pour se faire disputer, si vous voulez mon avis. Heu…Oui Mamie. Pardon pour le gros mot. » « Chut, les enfants, écoutez un peu ! ») Les cris continuaient…
« On ne peut rien vous demander ! De parfaits crétins, voilà ce que vous êtes. Je vous donne la vie, je vous choisis parce que vous êtes les plus hideux. Saint Jacques ne pouvait être qu’impressionné et vous me dites que vous avez échoué ! Racontez-moi ça ! »
Le mage Hermogène était assis sous un petit auvent de tissu doré et trônait littéralement. Il portait un grand manteau rouge qui cachait presque ses babouches et une drôle de coiffure, une espèce de turban qui se terminait en pointe. Avec sa barbe, on aurait facilement dit un vieillard.
Face à lui, les « imbéciles » n’en menaient pas large et leur queue pendait entre leurs jambes. Il y en avait un qui avait des pattes d’oiseau, un bec de canard et des plumes au bout des bras. Celui de derrière n’avait pas l’air malin avec ses ailes qui traînaient par terre. Il y avait un petit gros habillé comme un enfant qui marchait la tête rentrée dans les épaules. Aux pieds du mage, le jumeau du petit gros fumait une drôle de pipe à l’orientale. Un autre, tout près de nous et de Mamie, était en train de sortir de sa coquille et tenait dans le bec un message pour Hermogène.
On était vraiment tombés dans une drôle d’histoire, si vous voulez mon avis ! Mais ça n’avait pas l’air d’inquiéter Mamie qui attendait avec attention la réponse des monstres.
« Maître Hermogène, votre Seigneurie a des pouvoirs immenses mais l’esprit de saint Jacques est beaucoup plus fort. Vous nous avez fait difformes et effrayants, mi-humains, mi-animaux, mais saint Jacques n’a peur ni de votre magie noire, ni même du diable. Il dit que croire en Dieu est plus fort que tout et que cela le protège de vous. Il dit que vous lui enverriez une armée de monstres, que cela n’y changerait rien ! Il est très fort, je vous assure, Maître ! »
« Taisez-vous, bande de parfaits idiots ! Ma magie est plus forte que tout ! Il fallait convertir saint Jacques par n’importe quel moyen ! Il faut qu’il devienne ma créature. Je montrerai à Jésus, son cousin, qu’il est entouré de gens faibles ! Qu’as-tu à répondre, toi ?»
« Maître, nous ne retournerons pas en mission, nous sommes aux ordres de saint Jacques désormais. Nous ne ferons plus que le bien sur terre. L’ange gardien de saint Jacques le protège et nettoie son chemin des monstres comme nous qui pourraient essayer de le détourner de la foi chrétienne. L’ange gardien de saint Jacques est si puissant ! Nous aussi, nous voulons un ange gardien aussi bon ! »
Hermogène fulminait. Il était rouge de colère, la rage lui montait aux joues. Il avait les yeux exorbités. Il se mit à enfler, à enfler encore et encore… Et il finit par exploser en poussières d’étoiles. Il y avait un méchant homme de moins sur terre. Le mage Hermogène avait disparu dans le cosmos, sous nos yeux.
Saint Jacques et son ange gardien avaient su convaincre les créatures du mage que faire le bien était supérieur à faire le mal. Le mal incarné par Hermogène avait disparu et le bien était revenu sur terre.
Mamie nous reprit par la main en se disant qu’une aventure pareille valait tous les sermons du monde. Tout à coup, nous nous retrouvions devant le tableau de Jérôme Bosch, à nous demander si ce que nous venions de voir était vrai…
Dans le tableau, Hermogène était toujours là, sur son trône, face aux monstres. Et au fond du tableau, saint Jacques était devancé par son ange gardien qui semblait balayer le chemin. Il nettoyait la route afin d’écarter du saint d’éventuels dangers possibles.
De retour dans le métro, Théo et Clémentine pensaient profondément tandis que Mamie souriait.
À qui vouliez-vous qu’ils racontent une histoire pareille ? Personne n’allait les croire !