Histoires écrites

C’est pas facile d’être un géant !

=Une histoire conçue d’après une lithographie de Pierre Bonnard du livre intitulé Correspondances, et publié par Teriade en 1944

Il était long, long… très grand, tellement grand qu’il faisait tout pour qu’on l’oublie.

Enfant, il préférait laisser sa place sur le banc, ça lui évitait des réflexions gênantes, comme :

« Tu chausses du combien, petit ? Du 38 à même pas 6 ans ! Eh bé !!!!

« Tu pourrais m’attraper ça s’il-te-plaît ? Quand on est grand, on peut tout attraper : quelle chance !

« Quelle veine tu as d’être grand ! On peut tout faire quand on est grand ! »

Mais Pierrot se sentait triste d’être grand, si grand qu’il devait se casser en deux pour embrasser sa maman sur le front.

Si grand que les professeurs pensaient qu’il était adulte.

Si grand qu’il ne savait pas jouer avec ses camarades de classe.

Si grand qu’il avait mal au dos de toujours devoir se courber pour passer les portes, raser les plafonds, monter en calèche ou lacer ses chaussures.

Il était si grand qu’aucun cheval ne pouvait le porter. Ses pieds trainaient toujours par terre !

Le docteur le mesurait chaque fois qu’il le voyait et lui disait : « Pierrot ! Tu as encore grandi ! Tu vas toucher le plafond si tu continues ! »

« Incroyable… 1m90 à 15 ans ; 2m à 17 ans, 2m12 à 18 ans, 2m25 à 19 ans. »

« Jusqu’où vais-je grandir ? demandait Pierrot.

« Combien pensez-vous que je mesurerai à 21 ou 22 ans ?

Le docteur réfléchissait… se frottait la barbe embarrassé !

« Ecoute gamin ! Quand j’étais jeune, on parlait du géant Constantin. Il mesurait 2m45 au bas mot. On raconte que son père lui arrivait sous le bras. Et encore ! Son père se grandissait avec un chapeau haut-de-forme que portaient encore les messieurs à cette époque et qui leurs donnait facilement 10 à 20 cm de plus !

OH… Pauvre gars ! Il est mort assez jeune. Mon père me racontait qu’il vivait à Mons, en Belgique. Il était atteint de gigantisme.

Tu sais… J’espérais que tu arrêterais de grandir mais je m’aperçois que d’année en année, tu mesures toujours plus. Tu atteindras sans doute les 2m40…facilement !

Je te plains mon pauvre garçon.

Les hommes ne sont pas tendres avec les gens différents. Surtout, si tu as d’autres questions… Je suis là. N’hésite pas à venir frapper à ma porte !

Lorsque Pierrot atteignit ses 20 ans, il retourna voir le docteur Pingeot. « On y est, je le crains Monsieur Pingeot. »

Monsieur Pingeot monta sur un escabeau, prit son crayon et traça un trait sur le mur.

« Eh oui ! C’est bien ça ! 2m43… Tu y es gamin ! Tu as atteint la taille du géant Constantin !

« Vous savez, Monsieur Pingeot… Tout le monde me regarde de travers. Mes grosses mains font peur aux filles dans la rue. La maison est trop petite et je dois trouver un travail. Quoi faire dans la vie ?

Un travail en plein air peut-être ? Bucheron ?

« Mais non, gamin, tu te cognerais dans les branches !

« J’ai bien une idée mais… je ne sais pas si tu vas apprécier !???

Pierrot regardait ses mains immenses puis les frottait l’une contre l’autre, en signe d’angoisse. Pierrot ne savait pas comment ranger ses pieds sous la table tellement ils dépassaient !

Pierrot remerciait ses parents de tout cœur. Son père avait trouvé dans la grande ville d’à côté, un cordonnier capable de faire des chaussures gigantesques et sa mère lui cousait des chemises démesurées, des costumes géants. Tout était hors norme. Plus grand, plus long, plus haut !

Le docteur observait Pierrot se frotter les mains.

« J’ai bien une solution, te disais-je, mais te plaira-t-elle ? Tu es timide, n’est-ce pas ?

Oh oui, répondit Pierrot.

« Oui… ça va être un problème! répondit le docteur.

« Je pense que tu devrais te présenter au cirque lorsque viendra la Saint-Jean ! »

« Au cirque ? Mais que voulez-vous que je fasse ? Je ne connais rien aux animaux sauvages ! Je pourrais balayer, tout au plus ! »

« Non, Non, Non… Tu n’y es pas du tout ! Tu ferais un magnifique artiste ! Les foules se déplaceraient pour te voir. Tu gagnerais ta vie. Tu aurais une roulotte à ta mesure et une chance de travailler sans que l’on te juge !

« Sans que l’on me juge !?? En êtes-vous sûr, Monsieur Pingeot ?

« Ecoute gamin ! L’an dernier, lorsque le cirque est passé par chez nous… Anabelle était malade et le directeur du cirque a fait appel à moi pour la soigner. J’ai bien vu que la fameuse Anabelle était heureuse et aimée des gens du cirque.

« Qu’avait-elle de particulier cette Madame Anabelle ? demanda Pierrot

Monsieur Pingeot réfléchit une minute et répliqua :

« Anabelle…. est une très très très petite dame.

« Une femme atteinte de nanisme ? Une très petite dame? Cela demande réflexion. Si les gens du cirque sont capables d’accepter une femme si petite. Alors, ils accepteront peut-être un géant ?

Le mois de juin fut bientôt là ! Et pour la Saint-Jean, le cirque s’installa à la porte du village, à proximité du pré où devait brûler le feu de joie. On fêterait alors la nativité de saint Jean-Baptiste, le cousin de Jésus.

C’était surtout pour les villageois l’occasion de fêter l’arrivée de l’été et pour les jeunes gens, l’occasion de rencontrer des jeunes filles et danser toute la nuit autour du feu. Mais pour les plus anciens, c’était aussi un moyen de chasser les tempêtes, le mauvais sort et de tenir éloignées les sorcières et les magiciennes.

Finalement, cette fête était courue de tous !

Pierrot attendait cette fête avec impatience. Il espérait beaucoup de sa rencontre avec le directeur du cirque.

Pierrot guettait le ciel, il devait bien être 20h passées et le soleil n’était pas encore prêt de se coucher. Les villageois commençaient à quitter leurs maisons pour rejoindre le lieu des festivités. Jeannot se dit qu’il était temps d’y aller.

Ses parents lui souhaitèrent une agréable soirée. Pierrot déposa un baiser au sommet de leurs crânes et partit vers son destin, une boule au ventre.

Il n’avait pas fait dix pas qu’il vit sortir de la boulangerie un vieil homme inconnu chargé d’un énorme sac de toile qu’il peinait à porter. Pierrot se précipita pour l’aider à porter son fardeau !

L’inconnu lui décocha un grand sourire et le laissa porter son sac de pain.

« Du pain sec pour les bêtes ! dit-il… comme si cela expliquait tout. Le vieil homme lui ouvrit le chemin. Un long silence s’installa entre eux. Cela convenait très bien à Pierrot. Il aimait rendre service mais la discussion n’était pas son fort.

« Timide ? demanda l’homme.

Pierrot rougit jusqu’aux oreilles et ne répondit rien !

« T’es le gamin ? Le copain du docteur ? demanda encore le vieil homme.

Pierrot regarda celui-ci, des questions plein les yeux.

« Evidemment ! Pierrot, c’est ça ?

Pierrot hocha de la tête.

Pierrot se demandait où habitait cet homme… Au bout d’un moment, Ils arrivèrent à la sortie du village et bifurquèrent bientôt en direction du cirque.

Pierrot était de plus en plus perplexe. Ce vieil homme travaillait dans ce cirque et s’occupait probablement de la nourriture des animaux. Cela ne faisait aucun doute !

Ils entrèrent sous le chapiteau. Le vieil homme fit signe et un homme vint tout de suite décharger Pierrot, un grand sourire aux lèvres.

« Ah… Monsieur le directeur t’a trouvé ! Tu es Pierrot, n’est-ce pas ? Je suis dompteur. Vlad…

Vlad lui tendit la main et Pierrot lui rendit son salut en faisant bien attention de ne pas lui écraser la main.

« Enchanté de faire ta connaissance. On nous avait annoncé ta venue et je dois dire que je ne suis pas déçu !

« Anabelle ! Viens donc voir ici. Je vais te présenter Pierrot.

Voici Anabelle. Anabelle, voici Pierrot ! Pierrot n’en croyait pas ses yeux !

« Monte-moi sur tes épaules, Vlad, lui demanda Anabelle.

Et bientôt, Anabelle fut soulevée à 1m80 du sol, juchée sur les épaules de Vlad pour venir saluer Pierrot.

« Bienvenue chez nous Pierrot ! Nous sommes une grande famille ici et vous ferez un magnifique mime ! C’est une bonne recrue, papa !

On va vous faire un costume, vous grimer, vous maquiller, vous apprendre la flûte et toutes sortes de pitreries et vous ferez un magnifique clown triste. Pas besoin de bavarder. Buche et Jean, nos hommes à tout faire vous construiront une roulotte sur mesure. ET…

Le vieil homme l’interrompit :

« Anabelle, tu parles trop ! Laisse un peu ce jeune homme tranquille. Je n’ai même pas eu le temps de lui faire la moindre proposition !

Veuillez excuser ma fille ! Anabelle est toujours pleine d’enthousiasme. C’est notre rayon de soleil à tous. Mais elle va toujours trop vite !

« Alors, jeune homme, que dites-vous de tout ça ? lui demanda le directeur.

« Euh… Pierrot regarda tout à tour le directeur, Anabelle, Vlad…

« Euh… Je dirais que c’est un accueil chaleureux. Et une proposition qui demande réflexion. Je ne m’attendais pas à …..

Pierrot n’eut même pas le temps de finir sa phrase ! Anabelle le tirait par la manche et Vlad les entraina dehors faire la connaissance des autres artistes : les 5 frères acrobates, Joe le clown au nez rouge qui serait son binôme s’il acceptait la place, les palefreniers, Buche et Jean, l’écuyère Pauline, Bill qui était Monsieur Loyal et cuisinier, Charles le cracheur de feu, les sœurs Buck qui étaient contorsionnistes…

Pierrot fut entrainé par Anabelle et Vlad dans un tourbillon de présentations, de rires et de joie. Jamais Pierrot n’avait ressenti autant de bonheur.

« Bon… Je pense que ça veut dire oui ! se dit le directeur pour lui-même, en tirant sur sa barbe et en regardant Pierrot.

« Il ne le sait pas encore mais il va dire oui ! Belle recrue ! « Merci docteur » se dit-il en son for intérieur.

Pierrot venait de trouver un emploi, des amis, une maison et… une nouvelle famille. Ses parents étaient fous de joie à l’idée que leur fils soit aussi aimé et apprécié. Au cirque, la différence devenait un atout et tous les ans, ses parents auraient la joie de revoir leur fils chaque fois que le cirque passerait par le village, au mois de juin.

Pierrot avait un costume brodé couvert de paillettes. Sa mère et Anabelle s’étaient donné du mal ! Un chapeau pointu, une collerette de dentelle, des culottes bouffantes qui arrivaient aux genoux sur des collants blancs et des chaussons de velours noir.

Il avait appris à jouer de la flûte, du tambour et commençait la trompette. Habillé ainsi, maquillé de blanc… Pierrot devenait un autre homme. Timide dans la vie et attendrissant ou drôle sur scène ! Et rester muet pendant ses interventions sur la piste convenait parfaitement à son tempérament.

Le docteur Pingeot et les parents de Pierrot venaient systématiquement lui rendre visite quand la Saint-Jean arrivait. Leur plus grand plaisir était de regarder Pierrot aider à la toilette de Mambo, l’éléphant du cirque.

Voir ces deux êtres hors norme s’amuser avec l’eau ravissait tous les intimes de Pierrot. Sa haute taille prenait tout son sens lorsqu’il fallait frotter le dos de Mambo, le gratter derrière les oreilles.

Ces instants lui apportaient un véritable bonheur.

Oui… Le cirque était devenu son chez lui et les membres du cirque ses amis.

Vous pourriez également aimer...