Histoires écrites

L’homme chocolat venu d’Orient

Jean-Baptiste Vanmour je m’appelle
Et suis natif de la bonne ville de Valenciennes.
Cette cité était vraiment la mienne
Jusqu’à ce que, bien mal m’en prenne,
Après mes études de peintre, je partis en voyage.
D’abord à Paris puis à Constantinople,
À la suite de Monsieur de Fériol, et hop !
Ambassadeur de France en Turquie,
Il prit sa maison, ses valets, son fourbi
Et m’emmena dans ses bagages.
Au pays de la Sublime Porte
Aussi loin que le vent m’emporte,
Mon bateau au cours de l’eau,
Dans le désert, sur le dos d’un chameau,
M’agrippant et me rattrapant aux bagages !

Et après un long, très long périple,
Au cours duquel nous eûmes des aventures multiples,
Au pays de la Sublime Porte,
Enfin, nos pas nous portent…
Là, on nous apporte bien vite un breuvage !

Enfin, je m’installe, m’habitue et m’acclimate,
À une vie douce, brillante et délicate,
Au pays où le soleil tape,
Où les rayons vous mordent et vous frappent !
Mais un pays qui valait bien un voyage.

Et c’est là que pour la première fois,
Il me fut donné de voir un homme chocolat,
Grand, massif et impressionnant,
Un bel homme noir ébène venu d’Orient.
Ah ! Du sang dans les veines, plus une once !

Sur le coup, les mots me manquèrent,
Les bras m’en tombèrent,
J’étais loin d’être fier !
L’homme chocolat, loin d’être un pauvre hère,
Portait un long manteau d’or sur une robe couleur pierre ponce.

Sur la tête, une très curieuse coiffe de tissus,
Qui n’enviait rien aux coiffures, à la cour déjà vues.
Chez Louis XIV, notre bon roi,
La mode était pourtant reine, croyez-moi !
Mais jamais je n’avais vu pareil accoutrement.

Cet homme chocolat semblait être quelqu’un d’important,
J’appris qu’il était chef des eunuques du sultan.
Mais quelle était donc cette fonction
Qui chez nous ne trouvait pas de nom ?
En fait, il gardait et servait les femmes du sultan.

Quel étrange pays et quelle drôle de coutume !
Toutes ces femmes couvertes de soie et de plumes,
Mais toutes gardées à l’abri des regards,
Sans un homme pour les flatter ou apprécier leurs nouveaux fards !
Toutes belles et douces mais appartenant au seigneur le plus grand !

Tandis qu’en France le roi n’a qu’une noce officielle,
Une épouse, une femme, une seule femelle…
Mais ne manque pas de se servir chez les voisins,
Emprunte aux marquis et ducs, ses cousins,
La plus belle femme de la cour pour le servir, lui, Louis le Grand…

J’étais donc en face de cet homme chocolat.
J’étais sans voix devant cet être-là,
Mais je pris bien vite mes pinceaux,
Et fis de cet eunuque un tableau…
Peinture que je ne juge pas mauvaise maintenant.

L’homme chocolat était droit devant moi, attendant
Que je croque ses gestes, ses mouvements.
À l’arrière-plan se voyait le palais du sultan,
Avec ses tours, ses toitures qui rappellent tant l’Orient.
À Constantinople, j’étais vraiment dépaysé !

Nommé « peintre ordinaire du Roi au Levant »,
Je restai finalement toute ma vie en Orient,
Croquant, peignant, dessinant sans regret et sans amertume,
Les hauts dignitaires, leurs costumes, leurs coutumes.
Mais de tous ces gens qu’il me fut donné de portraiturer
C’est par l’homme chocolat que je fus le plus impressionné.

Vous pourriez également aimer...