Le feu avait pris tout à coup. Le donjon partait en flammes à toute allure. C’en était incroyable ! Jamais saint Antoine ne se serait douté que les pierres pouvaient brûler aussi vite. Il fallait avouer que tous les planchers, toutes les séparations des niveaux et toutes les cloisons du château étaient faites de poutres de bois… Si saint Antoine avait su qu’il serait le témoin d’un tel désastre ! Les langues de feu montaient dans le ciel et se reflétaient dans le ciel sombre.
Saint Antoine priait de toutes ses forces mais le feu continuait son travail destructeur, inexorablement. Le diable lui jouait de tels tours depuis des semaines qu’il doutait parfois de ce qu’il avait sous les yeux. Mais ce feu, tout de même, paraissait bien réel !
Saint Antoine n’avait pas toujours été saint. Il avait même été un petit garçon tout à fait comme les autres. Il avait voulu être forgeron, comme son père. Il avait voyagé pour apprendre son métier et en chemin avait côtoyé des chrétiens. Au hasard des auberges dans lesquelles il dormait après sa journée de travail, Antoine discutait avec les gens. Et ceux que l’on appelait les chrétiens et qui croyaient en Jésus Christ et en Dieu, son père, l’avaient séduit.
Mais pour devenir saint, il en fallait beaucoup plus ! Il fallait avoir fait trois miracles au moins, mais de vrais miracles… Antoine n’en était pas encore là !
Antoine passa de simple forgeron à ermite. D’un homme qui voyageait pour travailler, pour trouver des tâches de ville en ville et qui rencontrait beaucoup de gens, il devint un homme seul, quelqu’un qui avait choisi volontairement de vivre dans la solitude du désert.
Errant dans le désert, vivant de petits riens, de ce qu’on lui donnait pour survivre, dormant à la belle étoile, comme les premiers hommes, saint Antoine se nourrissait de prière. Il priait à longueur de journée, d’année, oubliant le temps, ne craignant ni la faim, ni le froid. Sa façon de vivre et de prier attira beaucoup d’autres hommes qui le suivirent dans le désert. Un jour, on lui offrit même un cochon afin de l’élever et de le tuer pour manger. Mais le cochon devenu adulte, saint Antoine n’eut jamais le cœur de l’abattre et Séraphin devint son compagnon du désert.
Aujourd’hui, saint Antoine se trouvait aux portes de cette ville inconnue dont le château brûlait. Séraphin le suivait de près. Tout à coup, une jeune femme vêtue d’une robe d’un jaune très voyant s’approcha. Elle était accompagnée d’une autre femme beaucoup plus vieille et affreuse, qui se dissimulait sous un voile et qui portait une drôle de coiffe avec des espèces de cornes.
« Que viens-tu faire dans notre belle ville, saint Antoine ? Chercherais-tu un peu de plaisir ? »
Saint Antoine trouva ces questions bien curieuses. D’abord, il ne connaissait personne dans cette ville. Comment cette femme pouvait-elle savoir qui il était ? C’était louche ! Qu’entendait-elle par prendre du plaisir ? On aurait dit que cette femme était de celles qui vont avec tous les hommes pour gagner de l’argent. Quant à la vieille qui la suivait, son visage était familier à saint Antoine… Bien sûr, c’était le diable en personne qui voulait le faire tomber dans un de ses pièges. Saint Antoine pria de toutes ses forces et le mirage des deux femmes disparut. Mais il restait ce château en flammes sous ses yeux… Dieu essayait-il de lui dire quelque chose ? Mais quel était ce message ?
Alors que saint Antoine se posait toutes ces questions, une foule de drôles de gens se précipita au-devant de lui. Séraphin, par esprit de conservation se colla aux jambes de saint Antoine. Il y avait là un homme (mais pouvait-on l’appeler ainsi ?) dont la tête se transformait en branche et dont le dos portait des ailes. Un autre était mi-homme, mi-lion. Un troisième avait des jambes mais une tête de poisson. Le quatrième était croisé avec un crapaud. Et il y en avait une dizaine de la sorte qui venaient tous proposer à saint Antoine la lune, la richesse, la beauté, les belles femmes et tout ce qu’il fallait à un homme pour être heureux. Saint Antoine comprit bien vite que le diable faisait encore des siennes.
« J’ai tout ce qu’il me faut ! Retournez chez le diable, votre maître, et dites-lui de ma part que Dieu m’a donné tout ce qu’il me fallait : de l’air pour respirer, le ciel bleu pour me coucher, de l’eau pour boire, son amour pour me nourrir et surtout de la volonté pour lui résister ! Allez-lui dire tout cela, créatures démoniaques ! Vous ne me faites pas peur. » Le cochon Séraphin n’était pas aussi rassuré que saint Antoine et se collait toujours à lui.
Mais ces paroles prononcées, les créatures fantastiques finirent par disparaître, comme par enchantement. Saint Antoine pria de plus en plus et remercia Dieu de la force qu’il lui avait donnée.
Seule une pauvre femme se trouvait encore là mais ne bougeait presque plus. Recroquevillée à même le sol, elle gémissait de douleur. Saint Antoine, tout de même un peu méfiant, craignant encore une ruse du diable, s’approcha tout doucement et proposa son aide à la mendiante. Le fait de la toucher et les prières de saint Antoine furent miraculeux. La vieille femme se sentit tout de suite mieux, ses plaies se refermèrent et elle guérit en un rien de temps. Au même instant le donjon du château de cette ville inconnue devant laquelle étaient saint Antoine et Séraphin s’arrêta de brûler, par miracle.
C’est comme cela que le saint comprit le message que voulait lui envoyer Dieu. Les fortes prières de saint Antoine avaient guéri cette vieille femme. Le feu qui brûlait au loin représentait les souffrances de la vieille femme. C’était un feu que seul pouvait voir saint Antoine, comme si Dieu avait voulu lui indiquer, que non loin de là, quelqu’un avait besoin de lui.
C’est ainsi que saint Antoine devint vraiment saint, en éloignant les monstres envoyés par le diable et en guérissant ceux et celles qui étaient atteints d’une maladie que lui seul pouvait guérir et que l’on appelait le feu de saint Antoine. Mais lorsque saint Antoine mourut, très vieux, son corps mort continuait à guérir les gens et l’on venait de fort loin pour prier sur sa tombe.